La croissance qualitative de La Montre Hermès
Quelques semaines à peine après son entrée en fonction, Laurent Dordet, nouveau CEO de La Montre Hermès, nous reçoit dans son bureau de Bienne. La marque réaffirme clairement ses ambitions horlogères.
Question de priorité, Laurent Dordet n'a pas encore eu le temps d'ouvrir ses cartons de déménagement. Ils sont là, dans son bureau de Bienne. Il faut dire qu'il a déjà à son actif, un premier Baselworld, et la présentation remarquée de la Slim d’Hermès, une montre épurée, dotée d’un mouvement manufacture, pour laquelle l'enseigne a été jusqu’à créer une nouvelle typographie. Rencontre.
Laurent Dordet, CEO de La Montre Hermès nous a reçu dans son bureau à Bienne
Vous n’êtes en fonction que depuis le 1er mars. Vos premières impressions d’expatrié en Suisse?
En fait, je ne suis même pas tout-à-fait installé, ma famille est encore à Paris et je fais les navettes. Nous emménagerons à Lausanne dans le courant de l’été. A titre personnel, la Suisse me frappe par sa sérénité tranquille et puissante. Lorsqu’on croit dans un projet, il y a ici une capacité remarquable à investir, à prendre très rapidement des risques entrepreneuriaux.
Le développement de Vaucher Manufacture Fleurier (dans laquelle Hermès est entrée à hauteur de 25% et qui produit ses mouvements manufacture - ndlr) en est un exemple saisissant. Difficile de croire, lorsqu’on visite cette entreprise, qu’elle n’a qu’une dizaine d’années.
Votre bilan de l’édition 2015 de Baselworld et du lancement de la Slim d’Hermès?
Lorsqu’on lance un produit dans lequel on croit, on a toujours de grandes attentes, d’autant que les commentaires avaient été élogieux lors des quelques avant-premières que nous avions organisées. Cela s’est confirmé à Bâle: l’accueil de nos clients et celui de la presse a été excellent, tout comme celui du réseau Hermès lors de la présentation qui lui était dédiée. La Slim d’Hermès est notre premier lancement d’une ligne transversale homme-femme, manufacture-quartz depuis celui de la Cape Cod en 1991. Grâce à elle, notre ligne masculine qui était jusqu’ici un peu réduite, mêlait mouvements manufacture et industriels, gagne en cohérence. Elle atteint sa masse critique, avec 80% de pièces dotées d’un mouvement manufacture, une part que nous allons encore amplifier.
La Montre Hermès Slim d'Hermès en or rouge
Quel équilibre visez-vous entre montres masculines et féminines ?
Pour l’instant, la part des montres femmes est proche de 75%. A moyen terme, il faudrait atteindre un 50/50, mais cela ne se fera pas en deux ans.
Privilégier les mouvements manufacture sur ce segment implique toutefois une hausse des prix moyens.
C’est probable. Aujourd’hui, nos montres manufacture valent entre 4'500 et 7'500 euros. Si l’on exclut les complications et La Montre métiers d’art dont le prix est plus élevé.
Vous avez présenté à Bâle des pièces qui font la part belle aux artisanats: email champlevé ou peinture traditionnelle japonaise.
Hermès a une forte légitimité dans les métiers d’art, soit parce qu’elle les maîtrise, soit parce qu’elle est simplement curieuse de tous les savoir-faire. Les métiers d’art représentent déjà une part significative de notre chiffre d’affaires, et offrent encore de belles perspectives de croissance. Pas par la multiplication, car le luxe, c’est la rareté, mais en amenant de nouvelles idées.
La Montre Hermès Slim d'Hermès
Quelles sont vos sources d’inspiration?
Nos sources d’inspirations sont souvent internes, et naissent des échanges quotidiens entre Philippe Delhotal et son équipe, la Direction artistique à Paris, et l’ensemble des complices de la maison qui proposent leurs idées et leurs dessins. Elles sont toujours le fruit d’une envie et d’une curiosité.
Par exemple, il arrive régulièrement à Hermès d’emmener ses artisans en voyage à la rencontre d’autres artisans, quelque part sur la planète, sans autre but que la découverte des talents et des savoir-faire. Ces échanges débouchent parfois aussi sur des réalisations concrètes: un voyage en Afrique a donné naissance à une ligne de bijoux Touareg, et nous avons découvert au Vietnam des techniques particulières concernant les laques. Ce sont les mêmes recettes qui s’appliquent à l’horlogerie: il y a trois ans, Maître Buzan Fukushima nous a fait découvrir l’Aka-é, la peinture traditionnelle japonaise. On lui doit les cadrans des douze pièces uniques de la Slim d’Hermès Koma Kurabé, peints sur de la porcelaine de Sèvres, qui marient donc des savoir-faire français et asiatique. Nous avons aussi amené à l’horlogerie des techniques typiques de notre maison, comme celles des Cristalleries de Saint-Louis avec qui nous avons réalisé un cadran millefiori (une technique qui permet de créer des jardins miniatures dans des boules de cristal, souvent utilisées comme presse-papier – ndlr). Nous avons enfin su mettre des savoir-faire horlogers au service d’une créativité qui nous est propre.
Par exemple pour de nouvelles complications?
Oui. Nous ne pouvons pas nous contenter d’offrir un nouveau chronographe.
Nous devons apporter quelque chose de différent, raconter des histoires bien à nous, comme nous le faisons avec le Temps de l’imaginaire et ses complications qui tissent une autre relation au temps: Arceau Le temps suspendu, Dressage L’heure masquée… ou la prochaine pièce qui est en cours de réalisation et qu’on découvrira dans les prochaines années.
La Montre Hermès Slim d'Hermès
L’horlogerie est souvent présentée comme un relais de croissance pour Hermès, mais depuis plusieurs années sa part aux résultats du groupe stagne à 5%, ou régresse légèrement.
Aux alentours de 4% en effet. Cette situation pose évidemment des questions, et on attend de moi des réponses. Il n’y a pas de raison intrinsèque pour que la montre ne performe pas comme les autres métiers, et son potentiel de croissance doit aussi être de l’ordre de 10% par an. Nous devons encore conforter notre légitimité horlogère, et nous y travaillons. Il faudra des résultats à relativement court terme qui appellent une réponse tactique. Avec des délais de livraison qui atteignent fréquemment six mois, nous avons par exemple des progrès à faire avec notre supply chain. Nous allons travailler à réduire nos délais pour les boîtes et les cadrans, et sommes en discussion avec Vaucher Manufacture pour les mouvements. La Slim d’Hermès sera dans nos magasins pour la fin de l’année.
Quels autres changements pensez-vous opérer ?
Il n’y aura pas de virage à 180 degrés, Hermès est une maison qui pense et agit sur le long terme. Notre décision d’aller vers la montre mécanique date d’il y a une quinzaine d’années et n’est pas remise en question. Notre stratégie est bonne, mais l’exécution doit absolument être améliorée, en amont comme en aval, jusque dans notre réseau de vente. Nous devons améliorer la place de nos produits dans les boutiques du réseau Hermès, car tout ce qui n’est pas perceptible par le client final n’existe pas! Nous devons aussi poursuivre la formation de nos vendeurs. L’horlogerie mécanique requiert une vraie compétence technique et s’adresse à une clientèle généralement très avertie à laquelle il faut pouvoir répondre.
Entre 2012 et 2014, les ventes de la Montre Hermès ont reculé de 14%, passant de 173 à moins de 150 millions d’euros. C’est même le seul métier du groupe en recul. Comment expliquer cette contre-performance ?
Nous avons connu deux exercices difficiles, alors que pendant les deux années précédentes nous avions surperformé le marché horloger. En 2013 et 2014, nos ventes retail se sont bien tenues, mais les ventes en gros qui représentent un tiers de l’ensemble ont été décevantes. Sans doute y avait-il eu un phénomène de surstockage. Nous avons également souffert de notre très forte exposition au marché chinois.
Le ralentissement économique et les lois anti-corruption nous ont touché de plein fouet.
La Montre Hermès Slim d'Hermès Perpetual Calendar
Tous vos coûts sont en francs suisses, mais le groupe consolide ses résultats en euros…
Oui, et nos clients achètent nos produits en yens et en dollars! La hausse du franc pourrait avoir un impact sur le prix de nos montres, c’est évident, mais si une adaptation est nécessaire, elle ne sera pas proportionnelle à la hausse du franc.
Hermès poursuit depuis plusieurs années la verticalisation de sa production. Vous détenez Joseph Erard Holding qui fabrique vos boîtes, Natéber d’où viennent vos cadrans et 25% de Vaucher Manufacture Fleurier qui crée les mouvements Hermès. Allez-vous poursuivre et amplifier cette politique ?
Nous allons sans doute passer par une phase de consolidation, même si nous restons attentifs aux opportunités qui se présentent. Disons qu’à ce stade, il n’y a rien sur la table. Dans notre montée en puissance, notre objectif n’est pas de pouvoir dire que nous sommes 100% indépendants de nos fournisseurs externes, mais bien de comprendre et de maîtriser les savoir-faire horlogers.
Vous avez rejoint Hermès il y a vingt ans, en 1995. Quels valeurs ou principes propres à cette maison amenez-vous à son pôle horloger?
En premier lieu le respect des savoir-faire, des fournisseurs et des hommes; ensuite la créativité qui viendra les nourrir.
J’espère apporter aussi, de façon plus pragmatique, une connaissance intime de la maison et de ses rouages, notamment en termes de distribution et de création.
Vous avez dirigé la maroquinerie et la sellerie d’Hermès qui génère à elle seule 1,9 milliards d’euros de ventes, près de la moitié du chiffre d’affaires du groupe. La Montre Hermès est dix fois plus petite, comment abordez-vous cette différence d’échelle?
Une de mes missions est de réduire cet écart! Mais la croissance que nous poursuivons n’est pas seulement quantitative, elle est aussi qualitative. Une croissance dont nous puissions être fiers, alimentée par la qualité des produits que nous vendons. Il y a chez Hermès des métiers très différents qui ont tous un point commun: les savoir-faire abordés avec respect, qu’on s’approprie progressivement pour les mettre ensuite au service de leur propre créativité. C’est exactement le sens de notre démarche avec la Montre Hermès, et c’est ce qui me réjouit dans mon passage à l’horlogerie. Il ne s’agit pas de brand stretching, de l’envie d’apposer notre nom sur n’importe quel nouveau produit. Il s’agit au contraire d’être cohérents avec nos valeurs, et de nous demander ce que nous pouvons apporter de différent.